Professeur Stefan JENTSCH
Lauréat du Prix Louis-Jeantet de médecine 2011

Les informations ci-après se réfèrent à la date de la remise du Prix.

Né en 1955 à Berlin, Stefan JENTSCH y a fait ses études et obtenu son doctorat en 1983, suivi d’une formation post-doctorale au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Cambridge (Etats-Unis). De retour en Allemagne, il a dirigé un groupe de recherches au Laboratoire Friedrich-Miescher de la Société Max-Planck à Tübingen et a été professeur à l’Université d’Heidelberg. En 2003, il a rejoint l’Institut Max-Planck de Biochimie à Martinsried, où il dirige le Département de biologie cellulaire et moléculaire. Il est le deuxième membre de sa famille à recevoir le Prix Louis-Jeantet de médecine qui, en 2000, avait déjà distingué son frère, Thomas Jentsch, directeur de département à l’Institut Leibniz de Pharmacologie moléculaire (FMP/MDC) à Berlin.

Stefan JENTSCH est membre de l’Académie nationale allemande des sciences Leopoldina et de l’Organisation Européenne de Biologie Moléculaire (EMBO). Il est aussi professeur honoraire à l’Université Fudan à Shanghai (Chine). Il a déjà reçu de nombreuses distinctions, notamment le Prix Otto Klung de chimie, le Prix Otto Bayer, le Prix Gottfried Wilhelm Leibniz et le Max-Planck Research Award des Sociétés Humboldt et Max-Planck.

Ubiquitine et maladies

Chacune des cellules de notre organisme dispose d’un large éventail de protéines qui gouvernent toutes les fonctions vitales. Chacune de ces protéines a des fonctions particulières, mais ces dernières peuvent être altérées lorsque ces protéines sont modifiées.
La modification des protéines par l’ubiquitine conduit généralement à leur dégradation. Stefan JENTSCH n’a pas seulement montré que l’ubiquitine joue aussi un rôle crucial dans la maintenance du génome et la réparation de l’ADN; mais il a aussi été le premier à découvrir les gènes impliqués dans l’activation de l’ubiquitine permettant ainsi de définir les différentes fonctions des enzymes de conjugaison nécessaires pour cette activation.
Le chercheur allemand a découvert un « commutateur moléculaire » qui agit au travers d’une modification de la protéine PCNA (Proliferating Cell Nuclear Antigen) par l’ubiquitine et par une protéine apparentée à cette dernière appelée SUMO (Small Ubiquitin-like MOdifier). Ce « commutateur », nommé PCNA, facilite la duplication parfaite du génome et contrôle aussi les mutations génétiques, comme celles qui apparaissent sous l’effet des rayons UV. Il joue donc un rôle fondamental, car des erreurs dans le procédé de réplication de l’ADN provoquent une instabilité du génome, laquelle a pour conséquence le vieillissement et le développement de cancers.

Les découvertes de Stefan JENTSCH ont des implications médicales, dans la mesure où une ubiquitylation défectueuse est la cause de nombreuses maladies allant du cancer du sein à l’anémie de Fanconi et au Xeroderma pigmentosum.

L’Ubiquitine et les protéines apparentées

Chaque cellule de notre organisme dispose d’un large éventail de protéines qui gouvernent toutes les fonctions vitales. Chacune de ces protéines a des fonctions particulières, mais ces dernières peuvent être altérées lorsque les protéines en question sont modifiées. Des petites protéines de la famille de l’ubiquitine ont la capacité de modifier la manière dont les autres protéines fonctionnent. L’ubiquitine doit son nom au fait qu’elle est présente dans tous les organismes eucaryotes. Lorsqu’elle se conjugue à une protéine-cible – par un procédé dit d’ubiquitylation – elle la «marque» généralement afin qu’elle soit dégradée par le protéasome (une grosse protéase).

La dégradation des protéines

Stefan Jentsch a fait œuvre de pionnier en élucidant le mode d’action de l’ubiquitine et des protéines qui lui sont apparentées. Le chercheur allemand et ses collègues ont été notamment les premiers à découvrir et à cloner les gènes qui codent pour l’activation de l’ubiquitine, c’est-à-dire pour les enzymes de conjugaison (E1, E2 et E3) nécessaires pour cette activation. Ils ont aussi identifié un nouveau facteur de cette cascade enzymatique, qu’ils ont nommé E4, qui améliore les réactions d’ubiquitylation.
En outre, Stefan Jentsch et son équipe ont apporté les premières preuves du fait que la dégradation des protéines du reticulum endoplasmique (un sous-compartiment des cellules eucaryotes) faisait intervenir le système ubiquitine-protéasome. Ce mécanisme particulier a une grande importance au plan médical, car il joue un rôle dans la mucoviscidose.

Ils ont aussi précisé la fonction de la protéine-chaperon Cdc48/p97 et montré que cet enzyme servait à extraire les protéines ubiquitylées de leur environnement.

Réparation de l’ADN

Les premières études indiquaient que l’ubiquitine fonctionnait comme un label de dégradation. Mais Stefan Jentsch a révélé qu’elle avait d’autres fonctions. En 1987, en collaboration avec Alexander Varshavsky, il a découvert qu’elle jouait aussi un rôle fondamental dans la réparation de l’ADN. Grâce à ces travaux, nous savons désormais que l’ubiquitylation ne fait pas que déclencher la dégradation des protéines ; elle sert aussi à contrôler le transport des protéines ou la transmission des signaux cellulaires et assure un grand nombre de fonctions dans le noyau des cellules eucaryotes, notamment la réparation de l’ADN.
Cela pourrait avoir d’importantes implications médicales dans la mesure où il a été montré qu’une ubiquitylation défectueuse était à l’origine de diverses pathologies, allant du cancer du sein à des maladies génétiques rares mais graves comme l’anémie de Fanconi et le Xeroderma pigmentosum.

Du cancer à l’évolution des espèces

L’ADN est fragile et peut aisément être endommagé. L’exposition aux rayons ultraviolets, aux radiations ionisantes ou même à certains produits chimiques, par exemple, peut provoquer des mutations et conduire au cancer. Un ADN endommagé peut aussi mener à des cassures dans les chromosomes, ce qui se traduit par la mort cellulaire ou le développement de tumeurs.
Fort heureusement, notre organisme dispose d’un certain nombre de mécanismes permettant de réparer l’ADN endommagé et de sauvegarder le génome. Stefan Jentsch et ses collègues ont identifié l’un d’entre eux, «le commutateur PCNA». Le PCNA (Proliferating Cell Nuclear Antigen) est une protéine en forme d’anneau qui encercle l’ADN et agit comme un co-facteur des ADN-polymérases, ces enzymes qui répliquent le génome avant la division cellulaire. La modification du PCNA intervient lorsque l’ADN à dupliquer est endommagé et elle évite ainsi l’apparition d’une situation dans laquelle le processus de duplication est stoppé ou les chromosomes sont cassés.
Stefan Jentsch et son équipe ont élucidé le mécanisme d’action de ce «commutateur PCNA». Ils ont constaté que le PCNA pouvait être modifié par la fixation soit d’une seule molécule d’ubiquitine (on parle alors de mono-ubiquitylation), soit d’un cordon de plusieurs de ces molécules formant ainsi une «chaîne de poly-ubiquitine» (on parle alors de poly-ubiquitylation), soit encore de la protéine SUMO (Small Ubiquitin-like MOdifier), apparentée à l’ubiquitine (voir la figure).
Lorsque le PCNA fait l’objet d’une mono-ubiquitylation, il recrute des ADN-polymérases qui peuvent agir même sur de l’ADN endommagé. Mais ces enzymes sont «peu rigoureux»; en d’autres termes, ils peuvent faire des erreurs et donc produire des mutations. La poly-ubiquitylation du PCNA, de son côté, active un autre mécanisme qui semble plus complexe, mais qui ne crée pas de mutations. Quant au dernier mécanisme, la SUMOylation du PCNA, il bloque une troisième voie de sauvegarde qui se met en œuvre quand les deux premières ne sont pas actives, mais qui est plus dangereuse car elle augmente les risques de cassures des chromosomes.
Il revient au «commutateur PCNA» de choisir, parmi ces trois voies, celle qu’il convient d’utiliser pour préserver au mieux l’ADN. Bien que la deuxième (la poly-ubiquitylation) semble la plus raisonnable, la mono-ubiquitylation peut aussi avoir de l’intérêt, bien qu’elle provoque des mutations sous l’effet des rayons UV. La mono-ubiquitylation est en effet particulièrement utile pour générer certains anticorps. Elle est aussi un facteur fondamental de l’évolution des espèces puisque sans mutation, de nouvelles espèces ne pourraient pas voir le jour. C’est dire que le rôle de ce commutateur biologique (le PCNA) s’étend bien au-delà des préoccupations médicales et que les découvertes de Stefan Jentsch couvrent un champ beaucoup plus étendu que celui de la biologie moléculaire et cellulaire.

Fig. Le commutateur PCNA
La duplication du génome (réplication) avant la division cellulaire implique le PCNA (en jaune), une protéine en forme d’anneau qui encercle l’ADN (ce dernier n’est pas représenté). Quand la machinerie de réplication rencontre de l’ADN endommagé, la réplication s’arrête. Le PCNA est modifié soit par mono-ubiquitylation (une seule molécule d’ubiquitine, ici en orange, se fixe à lui), soit par poly-ubiquitylation.
La mono-ubiquitylation s’accompagne du recrutement d’enzymes «peu rigoureux». Cette voie est source d’erreurs qui peuvent entraîner l’apparition de mutations sur l’ADN. En revanche, la poly-ubiquitylation conduit à une voie sans erreur. La SUMOylation (c’est-à-dire la fixation d’une protéine SUMO, en bleu), s’effectue même en l’absence de dommages dans l’ADN. Elle empêche la recombinaison homologue de chromatides-soeurs durant la réplication.

Professor Stefan Jentsch

Max-Planck Institute of Biochemistry
Department of Molecular Cell Biology
Professor Stefan Jentsch, Director
Am Klopferspitz 18
82152 Martinsried, Germany

Tél.: +49 89 8578 3000 (direct : 3010)


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