Professeure Christine PETIT
Lauréate du Prix Louis-Jeantet de médecine 2006
Biographie
Les informations ci-après se réfèrent à la date de la remise du Prix.
Née en 1948 et de nationalité française, Christine PETIT est responsable de l’unité Inserm de Génétique des déficits sensoriels à l’Institut Pasteur. Elle est professeure à l’Institut Pasteur et au Collège de France et membre de l’Académie française des sciences. Elle a déjà reçu de nombreuses distinctions, notamment le Prix Ernst Jung für Medizin en 2001, le Prix For Women in Science L’Oréal-UNESCO en 2004 et le Prix Freedom to Discover en neurosciences de l’Institut Bristol-Myers Squibb en 2005. Citoyenne française, elle est née en 1948.
Déficit sensoriel le plus fréquent, la surdité touche plus d’un enfant sur mille à la naissance et un sur cinq cents avant l’âge adulte. Elle peut avoir une origine environnementale (infections, médicaments, bruit, etc.), mais elle est souvent héréditaire, comme l’ont révélé les travaux de Christine PETIT.
Aussi surprenant que cela paraisse, il y a quinze ans, on connaissait très mal la biologie de l’audition. On savait en particulier peu de choses sur la cochlée, qui transforme les ondes sonores en signal électrique. Situé dans l’oreille interne, cet organe sensoriel en forme de limaçon avait suscité l’intérêt des physiciens, mais il avait été peu étudié par les biologistes. Les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent ses propriétés fonctionnelles étaient donc restés largement inconnus. Au début des années 90, Christine PETIT a entrepris d’aborder le problème par le biais de la génétique. Elle a ainsi localisé sur les chromosomes humains les premiers gènes responsables de la surdité chez l’enfant, puis elle a identifié les gènes défectueux dans seize formes de surdités. Qui plus est, la biologiste a pu montrer que l’un d’eux – atteint dans la forme de surdité DFNB1 – est à l’origine de la moitié des cas de surdité profonde congénitale dans les pays du pourtour méditerranéen.
Les recherches de Christine PETIT ouvrent la voie au développement d’une approche thérapeutique des surdités héréditaires pour lesquelles il n’existe actuellement aucun traitement. Christine PETIT utilisera le Prix Louis-Jeantet de médecine pour renforcer son groupe en personnel et en équipement.
Travaux
SURDITÉ : GÉNÉTIQUE ET MÉCANISMES PHYSIOLOGIQUES
Etonnamment, jusqu’au début des années 90, on connaissait mal la cochlée (figure 1), l’organe sensoriel auditif qui décompose les messages sonores et les transforme en signaux électriques envoyés au cerveau. Les physiciens, qui s’étaient pris de curiosité pour les propriétés énigmatiques de la cochlée dès le début du 19e siècle, avaient élucidé certains principes physiques de son fonctionnement. En revanche, les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent ses propriétés physiologiques demeuraient entièrement inconnus. Il est vrai que l’audition n’est assurée que par 3000 cellules sensorielles, les cellules ciliées internes. Ce très petit nombre de cellules (la rétine, par exemple, compte quelque 120 millions de cellules photoréceptrices) ne permettait d’étudier la cochlée ni par les techniques de la biochimie, ni par celles de la biologie moléculaire classique. Christine Petit a donc décidé d’aborder la question par le biais de la génétique, une approche dont le pouvoir de résolution est indépendant du nombre de cellules concernées.
Gènes de la surdité
Pour identifier les gènes dont l’altération est à l’origine d’une surdité, Christine Petit a d’abord dû résoudre une difficulté particulière qui faisait obstacle à l’étude génétique de ce handicap. L’identification d’un gène impliqué dans une maladie ou un handicap passe par l’étude de familles atteintes, dans lesquelles on suit sa transmission d’une génération à l’autre. Or, dans les pays développés, les malentendants comme leurs enfants ont tendance à s’unir entre eux. Plusieurs gènes de surdité sont alors présents dans une même famille et il est difficile, voire impossible, de distinguer la malentendance due à un gène hérité du père, de celle due à un gène venant de la mère. Christine Petit a réussi à contourner cet obstacle en étudiant des familles malentendantes vivant dans des isolats géographiques du pourtour méditerranéen. Dans ces isolats, généralement fondés par un petit nombre d’individus, une seule atteinte génique est le plus souvent à l’origine de la surdité. Cela lui a permis de localiser, sur les chromosomes humains, les premiers gènes responsables de surdité chez l’enfant. Elle a ensuite identifié les gènes défectueux dans seize formes de surdité. Qui plus est, elle a montré que l’un d’eux – qui code pour la connexine-26 – est à l’origine de la moitié des cas de surdité profonde congénitale dans les pays du pourtour méditerranéen. C’est donc l’une des atteintes génétiques les plus fréquentes de l’espèce humaine.
Christine Petit a ouvert la voie, et depuis, une quarantaine de gènes impliqués dans les surdités ont été découverts, dont près de la moitié par son équipe. « Lorsque j’ai commencé mes recherches », souligne-t-elle, « on savait que la surdité de l’enfant est principalement neurosensorielle, et souvent due à des atteintes de la cochlée. Pourtant, à tort, on attribuait bon nombre d’entre elles à des infections passées inaperçues ». On sait aujourd’hui, grâce aux travaux de Christine Petit, que l’hérédité occupe une part majeure dans l’étiologie des surdités de l’enfant dans les pays développés. La découverte des gènes défectueux dans la surdité a conduit au développement de leur diagnostic moléculaire et à la caractérisation clinique de chaque forme de surdité ainsi identifiée. Ceci a permis d’améliorer considérablement la qualité du conseil génétique qui peut être donné aux familles dont un des membres est malentendant.
Fonctionnement de l’oreille interne
Tout en poursuivant l’inventaire des pièces de ce puzzle génétique, Christine Petit s’est attachée à comprendre comment les protéines codées par les gènes découverts concourent au développement et au fonctionnement de l’oreille interne. En utilisant des souris transgéniques, en tant que modèles animaux de la surdité humaine, elle a élucidé différents mécanismes qui sont à l’origine des troubles de l’audition. Ainsi, on sait aujourd’hui que bon nombre de surdités sont dues à l’atteinte de la cellule sensorielle elle-même. Souvent, c’est la touffe ciliaire (figure 2), le compartiment cellulaire où s’effectue la transformation du signal acoustique en signal électrique, qui est affectée. Dans d’autres cas, le problème vient d’anomalies de la structure de la membrane tectoriale (qui transfère l’énergie du stimulus auditif à la touffe ciliaire, figure 1B), ou encore de la régulation ionique, en particulier de celle des ions potassium qui transportent le courant de transduction électrique. Il apparaît enfin que dans la forme la plus fréquente de surdité héréditaire de l’enfant, le défaut de la protéine connexine-26 affecte l’activité de plusieurs types de cellules de la cochlée, y compris de cellules dans lesquelles cette connexine ne s’exprime pas.
Touffe ciliaire
Combinant les données de la génétique à d’autres approches, Christine Petit a révélé comment diverses molécules agissent de concert pour mettre en place et/ou maintenir certains processus au sein de la cochlée. Prenons l’exemple de la cohésion des stéréocils (microvillosités rigides qui composent la touffe ciliaire, figure 2), cohésion dont dépend le bon fonctionnement de la touffe ciliaire. Christine Petit et ses collaborateurs ont ainsi mis au jour trois mécanismes qui se mettent en place séquentiellement lors de la croissance et de la maturation des stéréocils. Le premier, qui prévient la fragmentation de la touffe ciliaire lors de son émergence, implique cinq protéines; celles-là mêmes qui sont défectueuses dans cinq formes différentes du syndrome de Usher de type I (une surdité associée à une cécité) (figure 2D). Le deuxième assure l’agencement précis des stéréocils les uns par rapport aux autres; il solidarise leur base par des liens fibreux composés de protéines codées par les gènes défectueux dans le syndrome de Usher
de type II. Quant au troisième, il prévient la désolidarisation des stéréocils et protège la touffe ciliaire contre le stress mécanique sonore en maintenant leur extrémité dans une
« coiffe » acellulaire; cette dernière, passée inaperçue jusque-là, est elle aussi composée d’une protéine codée par le gène défectueux dans une forme de surdité.
En ancrant ses recherches sur la génétique, puis en y associant une approche multidisciplinaire, Christine Petit a ainsi réussi à décrypter bien des mécanismes cellulaires et moléculaires qui assurent le fonctionnement de la cochlée et dont les anomalies conduisent à une perte de l’acuité auditive. Ses travaux ouvrent la voie au développement d’une approche thérapeutique des surdités héréditaires, pour lesquelles on ne dispose actuellement d’aucun traitement.
Avec les moyens mis à sa disposition par le Prix Louis-Jeantet de médecine 2006, Christine Petit se propose d’étendre aux voies auditives son étude des mécanismes cellulaires et moléculaires de l’audition et de ses dysfonctionnements chez l’être humain. Par l’identification in vivo chez la souris de différents neurones des noyaux du tronc cérébral et de leurs connexions, ainsi que par leur ablation sélective, elle a le projet de comprendre leur rôle dans le traitement de l’information auditive.
Figure 1 .
A. Représentation schématique de l’oreille humaine
L’oreille est composée de l’oreille externe, de l’oreille moyenne (avec les trois osselets, i.e. marteau, enclume, étrier), et de l’oreille interne. Celle-ci comprend la cochlée, dédiée à l’analyse du son, et le vestibule, qui répond aux accélérations de la tête. L’oreille interne est emplie de liquides, l’endolymphe (bleu clair) et la périlymphe (bleu foncé).
B. Représentation schématique d’une section du canal cochléaire
Différents types d’épithéliums entourent la scala media (emplie avec l’endolymphe), incluant l’épithélium sensoriel auditif, l’organe de Corti qui comprend deux types de cellules sensorielles (en jaune), les cellules ciliées internes (IHC, une rangée) et les cellules ciliées externes (OHC, trois rangées), et divers types de cellules de soutien (en vert). Celles-ci comprennent les cellules piliers (p), les cellules de Deiters (d), les cellules de Hensen (h). Autres abréviations: (c) cellules de Claudius, (i) cellules interdentales, (sp) proéminence spirale.
Figure 2.
Désorganisation de la touffe ciliaire dans un modèle murin du syndrome de Usher I.
Représentation schématique de l’organe de Corti. Dans l’insert, une touffe ciliaire (A).
Microscopie électronique à balayage d’une touffe ciliaire en différentiation chez une souris « sauvage » cinq jours après la naissance (P5) (B), le jour de la naissance (P0) (C), et chez un mutant de souris dont le gène codant pour l’harmonine a été inactivé (D) ; ce gène est défectueux dans le syndrome de Usher I. La touffe ciliaire est disloquée en deux fragments chez les souris harmonine-/-. Abréviations: IHC : cellule ciliée interne, OHC : cellule ciliée externe.
Contact
Professeur Christine PETIT
Professeur au Collège de France
Inserm U587 « Génétique des déficits sensoriels »
Département de neuroscience
Institut Pasteur
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